Dans une interview à «Libération», l’ex-candidate se dit déterminéeà mener la bataille de la rénovation du PS et à prendre la tête de
l’opposition.
Libération: Où en êtes-vous de votre réflexion? Serez-vous candidate au premier secrétariat?
Ségolène Royal: Je n'ai pas pris ma décision. Cela viendra le moment venu. A partir du moment où je ne quitte pas la politique, on ne peut pas faire de la politique
sans parti. J'observe ce qui se passe, mais je ne veux pas me placer dans des logiques de conflits internes.
Cette indécision n'a-t-elle pas désorienté vos proches?
C'est vrai que c'est un peu déstabilisant pour mon entourage, qui se demande pourquoi je ne repars pas sabre au clair. Certains se sont inquiétés, ont demandé des
consignes. Je leur explique que la politique est faite d'étapes. Et qu'il ne faut pas que je me laisse happer par le système. Le jour où je leur dirai: «On y va», nous irons vraiment.
Combien de temps durera votre réflexion?
Rassurez-vous, je ne suis pas en hibernation. Je travaille avec d'autres, j'accepte les invitations à l'international et je me bats pour ma région. C'est essentiel.
Et je mettrai ce travail au service du collectif.
Comment allez-vous désormais participer à la vie du parti?
J'ai rassemblé 17 millions de voix, après avoir été désignée par 60% des adhérents du parti. J'ai des responsabilités à l'égard de tous et toutes. Je ne peux donc
pas me laisser attirer dans je ne sais quel piège de tactique interne. Rassembler, expliquer, fédérer, voilà le seul rôle que je me donne. Et mettre au service de la gauche et des Français le
potentiel de l'élection présidentielle.
La rentrée politique a été marquée par une profusion de livres très sévères à votre égard. Vous ont-ils affecté?
Oui. Ça laisse toujours des traces, on est toujours touché. D'ailleurs, c'est bien l'objectif. Mais c'est passé. L'important est que les gens se disent et me disent
que je me suis bien battue.
Irez-vous au conseil national de ?
Je serai probablement en Argentine pour l'élection de Cristina Kirchner, puis au Chili. Sinon, j'y serais allée.
Vous venez de rencontrer Walter Veltroni. L'exemple de la primaire italienne est-il envisageable en France?
Tous les dirigeants italiens ont accepté l'émergence parmi eux d'un leader, avec trois millions et demi d'électeurs qui ont payé un euro pour participer. Au PS, les
militants à 20 euros ont été parfois contestés. Mais la réflexion doit se poursuivre. Je sais que ce n'est pas facile, car nous héritons d'un système sécurisant pour les courants, avec ce que
cela signifie de contrôle des fédérations et de positions verrouillées. Mais au PS, nous avons tous compris, certes à des degrés divers, que ce système devait changer. L'exemple italien doit nous
faire réfléchir.
Comment faire évoluer le PS?
Il faut rendre la parole aux militants. Mais aussi faire voter des gens qui ne sont pas adhérents du parti, comme en Italie. La préoccupation de l'organisation ne
doit pas être l'organisation elle-même.
Cela ne semble pas être la tendance actuelle au sein du PS…
Il existe toujours dans le parti cette ligne élitiste sur la crainte d'une transformation en «parti de supporters». Mais qu'est-ce que ça veut dire? Cette conception
condescendante me choque. Pourquoi considérer les gens comme des écervelés, qui choisissent à la tête du client? Peut-être qu'ils adhèrent aussi à des idées…
La fusion à l'italienne entre socialistes et centristes vous inspire-t-elle?
Ce qui se passe en Italie montre bien que des recompositions sont nécessaires. L'alliance, contre la droite, entre un parti issu du parti communiste et un parti du
centre, d'inspiration chrétienne, est très intéressante. Il y aura forcément, en France aussi, des recompositions entre centre et PS. Et ce ne sera pas en laissant de côté les militants venus de
l'extrême gauche ou du PC.
Avez-vous poursuivi vos contacts avec François Bayrou?
Non. Je ne suis pas encore dans cette phase. Je la poursuivrai quand j'aurai achevé la précédente, celle de la réflexion et de la reconstruction. Mais nous sommes à
un tournant. L'électorat a évolué, avec de nouvelles générations qui n'ont pas connu l'histoire du PS et du PC, et qui ont d'autres comportements électoraux. Et parmi les centristes, il y a des
démocrates qui peuvent se reconnaître dans un projet politique qui ne sacrifierait pas pour autant l'identité de la gauche. On m'a critiquée pour ma démarche d'entre les deux tours, mais soyons
réalistes: dans de nombreuses villes, aux municipales, cette convergence devra s'opérer.
Est-il réaliste d'envisager un tel rapprochement en France?
On doit se poser la question d'un rassemblement du camp de la gauche et de tous ceux qui ont une conception exigeante de la démocratie, destiné à passer la barre des
30% au premier tour d'une élection nationale et qui aurait vocation à être leader au niveau de la gauche européenne – laquelle, reconnaissons-le, tangue un peu. Depuis Tony Blair, même si
certains aspects de son leadership étaient discutables, la gauche n'a plus de leader capable d'entraîner les mouvements progressistes en Europe.
Quelle est votre position sur le mini-traité?
A partir du moment où le peuple a refusé le précédent, il serait logique de le consulter à nouveau. Mais je crois que ce traité, même imparfait, peut remettre
l'Europe en marche. J'aurais préféré un texte avec moins de dérogations. Mais mieux vaut un compromis que rien. L'intégration de la Charte européenne des droits fondamentaux est une avancée très
importante. C'est pourquoi nous devons faire bloc avec les socialistes portugais, espagnols, allemands et les autres, et adopter ce texte le plus vite possible pour passer à l'étape suivante : la
préparation du traité social. La question de la procédure d'adoption, référendaire ou parlementaire, n'est plus une question de principe. Nous n'avons pas de temps à perdre à nous
diviser.
Pourquoi vous êtes-vous montrée si discrète, ces derniers temps, sur la politique gouvernementale?
Ce n'est pas exact. Mais je n'ai pas l'intention de commenter le moindre fait et geste du Président. Il faudrait pour cela passer toute la journée devant la
télévision, ou presque ! A ce propos, le CSA, qui refuse de comptabiliser le temps de parole de Nicolas Sarkozy, manifeste une piètre conception de la démocratie. Mais rassurez-vous, l'opposition
est bien là.
Comment définissez-vous aujourd'hui votre rôle d'opposante?
Je dois utiliser ma voix avec circonspection, quand je la sens utile au débat démocratique. Mais cela ne sert à rien de mener une opposition frontale, à tout
propos.
Quel regard portez-vous sur la pratique sarkozyste du pouvoir?
Ce qui me frappe, c'est le contraste entre le discours, le changement de style et, au fond, un grand archaïsme dans la façon de procéder. Le pouvoir actuel est très
proche des puissances d'argent, du Medef. On ne parle ni d'éducation, ni d'innovation, ni de PME, ni de modernisation économique. Sur les mesures fiscales, on a un pays endetté qui se prive de
marges de manœuvres au profit des plus privilégiés, suivant en cela les réflexes les plus éculés de la droite traditionaliste et rentière.
Que dit selon vous le mouvement social de la semaine dernière?
Nicolas Sarkozy, pendant la campagne, avait expliqué que tout était prêt… Or, on est dans l'improvisation totale. On aurait pu penser qu'on allait échapper à
l'affrontement social, à la grève des transports. Mais à l'arrivée, on a un pouvoir qui ressemble piteusement à tout ce qu'il y a de plus archaïque. Les oppositions sociales se cristallisent,
même si elles sont partiellement occultées par une opération d'ouverture médiatiquement réussie. Mais conduire un pays moderne à la grève est la marque d'un pays mal gouverné.
Quel regard portez-vous sur le divorce de Cécilia et Nicolas Sarkozy?
Les grands événements de ces derniers jours, c'est malheureusement la journée de la misère et les mouvements d'inquiétude justifiée sur le front social.