Pendant un an, l’ex-candidate à la présidentielle a confié ses secrets, ses doutes, ses colères, à notre consoeur de France-Inter, Françoise Degois (*) Sur son échec au congrès du PS, sur la guerre que lui livrent les éléphants, sur la personnalité de Sarkozy… sur elle aussi, le parler vrai de Ségolène décoiffe. Extraits.
Le regard des éléphants : "Cette femme est une sorcière."
"Ils ne s’arrêteront jamais. Leur psychologie est très simple en fait. Elle est liée à la conception profonde qu’ils ont de la politique. Ils pensent très basiquement : Je suis mâle, je suis dans le cursus, j’ai fait les bonnes études, j’ai tous les mérites, je suis l’homme qu’il faut. C’est une conception patrimoniale et possessive de la politique, comme le capitalisme des héritiers. […] La primaire a été pour eux un rapt profond qu’ils ne surmonteront jamais. S’ils étaient vraiment sages, ils se diraient qu’ils ne sont, que nous ne sommes que des passagers de la politique et que, puisque j’ai été choisie par les militants, puis par le peuple, ils doivent me suivre. (…)La décomposition du PS, au fond, ils s’en moquent, ils pensent que de toute façon ils gagneront au prochain coup. Ils pensent que l’agonie sera tellement lente qu’ils ramasseront inévitablement la mise. (…) Moi, je suis très claire. S’il y en a un de meilleur que moi, qu’il y aille, je ferai même sa campagne en 2012. Mais pardon, pour le moment, je ne vois pas. J’aime cet argument stupide qui consiste à me dire : "Ségolène, protège-toi, le parti détruit toujours celui qui le dirige…" Eh bien soit ! qu’il me détruise. Puisque je suis nulle de chez nulle. Parce que c’est bien ça, non ? Je suis nulle de chez nulle. La bonne aubaine, le parti qui me détruit… mais non, évidemment, c’est un argument spécieux, abject. La vérité, c’est qu’on ne peut pas prendre le risque. On ne sait jamais… si on prenait le risque que le parti ait 700.000 adhérents, qu’on ouvre les grilles de Solférino, qu’on fasse revenir les artistes et les intellectuels, qu’on se remette à réfléchir joyeusement à la politique. Mon dieu, quelle horreur, cette femme est dangereuse, c’est une sorcière… Surtout pas elle… on ne sera plus chez nous (rires). (…) Le poison est entré si violemment dans ce parti. Et, eurêka ! ils ont trouvé une femme pour battre une autre femme. Avec l’idée que nous nous battrons au sang et qu’eux pourront ramasser la mise en 2012. C’est de l’inconscience à l’état pur, c’est de l’irresponsabilité, c’est une forme de perversion absolue. (…) Et pendant ce temps, les Français vont souffrir… Mais ils s’en foutent éperdument, ils ne pensent qu’à eux, à ce processus de congrès stupide."
La fête du Zénith : "Forcément, ce que je fais est nul."
"Grimper aux rideaux, hurler comme des vierges effarouchées et raconter n’importe quoi au fil des éditos parce que je me suis coiffée au Babyliss, que je portais une tunique bleue et un jean, vous parlez d’une transgression ! Si c’est ça transgresser, on est des millions à s’asseoir sur notre surmoi ! (Éclats de rire.) Je me demande bien ce que vous auriez raconté si Bertrand Delanoë avait fait ça. Vous vous seriez tous extasié : "Mon dieu, il est génial, quelle créativité, quel culot, quelle liberté de ton !" Et si ça avait été Martine, merveilleux, forcément merveilleux, avec une tunique africaine, quelle révolutionnaire, cette Martine ! Mais moi, non ! Forcément ce que je fais est nul, forcément moi c’est à quitte ou double ! Forcément je fais de la com ! (…) C’est moi, tout ce que j’aime dans la politique : le rassemblement, la joie, le discours, l’élan, une forme de transgression qui fait grincer les mutilés du coeur, mais je ne suis pas responsable de certains blocages. Faut-il être neuneu pour hurler au sacrilège, à la secte, alors qu’on ne dit jamais rien à Marie-George pour sa fête de L’Huma, qu’en Italie, la fête de L’Unità passe comme une lettre à la poste et que tout le monde s’extasie devant la campagne d’Obama ! (…) Et en plus ils me copieront. C’est certain. Tous ceux qui me critiquent feront pareil dans quelques années, vous verrez. Aujourd’hui, pas un ne peut attirer 4 000 personnes sur son nom, à part Sarko bien sûr mais vous verrez. De toute façon, la vérité est ailleurs. Ce qui les a fait se déchaîner, en in ou en off, c’est la phrase : "Rien ne me fera reculer !" Ça, pour eux, c’est terrible. Ils se disaient au fond : "Bon, on va laisser Ségolène faire son Zénith et comme ça, après, elle ne nous emmerdera plus." Il y avait de ça dans les commentaires. Raté."
Le congrès de Reims : "C’est terrible, un tel aveuglement."
"Je continue à penser que je suis majoritaire. Beaucoup de gens inscrits sur les listes n’ont pas pu aller voter. Quelles que soient les circonstances de la désignation de Martine, je reste persuadée que j’avais la victoire au début de la nuit et qu’elle s’est volatilisée au petit matin. Mais les faits sont là : Martine est premier secrétaire et pas moi. Ça fait une grande différence. Ce qui fait encore plus de différence, c’est le sectarisme avec lequel nous avons été traités, mes amis et moi. C’est terrible, un tel aveuglement. Comment refuser la main de 50% des militants, voire un peu plus ? Pourquoi ? Au nom de quelle logique politique ? Il n’y en a aucune. À dire vrai, je ne comprends pas cette stratégie, si ce n’est qu’elle est motivée par mon élimination. Faire tourner la vie du plus grand parti d’opposition autour de la seule question "Comment éliminer Ségolène ?", c’est à la limite de la monomanie. (…) Avec moi, la rénovation était immédiate. Je lançais dans les cent jours une vaste campagne d’adhésion, tout le monde sur le pont à vingt euros. Et je déménageais. Dans un lieu vaste, clair, pas tarabiscoté comme Solférino, avec ses couloirs, ses escaliers. Non, un lieu moderne, sur deux plateaux, deux étages, très lumineux. Ah, c’est certain, ça aurait grincé, chouiné, tapé du pied, mais on déménageait. (…) J’aurais appliqué illico presto la démocratie participative, j’aurais créé une université populaire, on aurait fait revenir les jeunes des banlieues, ils seraient venus militer. C’est certain. Bref, il se serait passé quelque chose, un souffle, qui ne peut pas se passer de la même manière maintenant. Ce souffle de la présidentielle qu’ils cherchent absolument à éteindre, coûte que coûte, et que j’aurais su rallumer (…)
Le soir du vote : "Avec Martine, on aurait causé, comme on dit chez moi."
Je ne pensais pas que François Hollande changerait la règle du jeu en cours de route. Je pensais qu’il réagirait face à l’irrégularité des votes. Qu’il saisirait la proposition de Robert Badinter de faire revoter dans les sections litigieuses. Comme beaucoup de militants j’ai été stupéfaite. Mais vous savez, j’ai revu il y a quelques jours le film Gandhi de Richard Attenborough. Une phrase y revient sans cesse, "œil pour œil, et le monde serait aveugle". Œil pour œil, c’est toujours tentant, c’est facile, mais c’est une mécanique dont il faut sortir. (…)
- On n’a pas vraiment compris ce qui s’est passé la nuit du vote. (…) Comment avez-vous passé cette soirée ?
Chez moi à Boulogne, entourée de quelques amis. En fait, François Hollande ne m’a pas contactée directement. Il a contacté mon attachée de presse en disant que la victoire était nette et incontestable. Il souhaitait me parler rapidement. J’étais en train de rédiger mon discours de victoire justement quand tout a commencé à changer. Je crois que c’est l’inversion des résultats, telle qu’elle s’est déroulée, qui a été le plus dur à vivre. C’est assez violent. Depuis la veille, je sentais que ça allait passer mais tout en restant prudente. Je sentais que tout pouvait arriver. J’avais du pif, remarquez ! (…)Contrairement à ce que racontent certains journalistes, non, je n’ai pas fait demi-tour, rebroussé chemin. Ça n’est pas mon genre. Si j’avais quitté Boulogne pour rencontrer la presse, je peux vous dire que j’y serai allée, à la maison des Polytechniciens, et même à la questure, où était Martine, et qu’on aurait causé, comme on dit chez moi. (Sourire.) Mais à bien y réfléchir, je crois que ni elle ni moi n’étions en état de parler. D’ailleurs, les coups de fil échangés dans la nuit en disent long. Dans ces moments-là, en fait, il est inutile de parler. Voilà, tout était dit. (…)
Sans doute… ça n’est pas impossible. Mais tout dépendra de ma capacité et de celle de mon équipe à nous y préparer. Avec un parti profondément transformé, ç’aurait été plus facile, mais je serai mieux préparée qu’en . Mieux entraînée aussi. Parce que j’ai été la chercher au plus profond de moi-même, cette décision. Elle vient de très loin… de très loin vraiment. Du plus profond de l’élan populaire qui ne se dément pas ! Qui est toujours là ! Comme une évidence ! Il y a quelque chose en moi qui appartient désormais aux autres. C’est-à-dire à tous les gens qui veulent que j’avance avec eux et pour eux. Personne ne sait mieux que moi jusqu’où je suis allée chercher cette décision… Cette décision d’avancer. Parce que parfois j’ai eu le sentiment de ramper dans la cendre. Parce que j’aurais pu mourir. Oui…mourir intérieurement… (Elle réfléchit.) Et puis voilà, je me suis remise debout.
Non ! Je dois avoir un ange gardien.
"Dans tout combat politique, comme dans le sport, il y a forcément le respect de l’adversaire. J’espère que [Nicolas Sarkozy] me respecte, plus en tout cas que ses sbires. Moi, je respecte l’adversaire même si je dois le combattre au sang. Je dirais d’abord, sur le point le plus positif, c’est qu’il a une énergie incroyable. Qu’il bouge et veut faire bouger. Il est iconoclaste, c’est évident. Mais je crois que ce qui me gêne le plus chez lui, c’est son manque de morale, son amoralité. J’ai l’impression vraiment qu’il illustre bien l’expression "sans foi ni loi". (…) Il ne cache pas son avidité, sa boulimie d’argent, de sensualité, de plaisir. Il y a une forme de cynisme poussé à l’excès, comme de la provoc permanente, celle d’un adolescent qui voudrait épater la terre entière. Sauf qu’il est chef de l’État. Il est l’enfant du SAC de Pasqua, il est l’héritier de Ponia. Et il est un vrai idéologue. Ultra-libéral. Et il s’en vante presque. Sa grande habileté a été de conjuguer cette forme d’amoralité et l’ouverture politique. C’est une stratégie de conquête assez classique mais très efficace. (…) On flatte et on intervient là où ça fait mal. Besson est un exemple parfait, idéal, de la bonne prise de guerre au bon moment. Du jamais-vu dans une campagne présidentielle. Et puis on espionne les équipes d’en face, on fait du renseignement, grâce à ses anciennes fonctions ministérielles. (…) On travaille aussi les rédactions de l’intérieur, on a ses espions petits ou grands, on est au cœur des chaînes de télé, au cœur de la machine, on promet, on contraint, on menace. On intervient sur les points faibles. Procès en incompétence. On tape là où ça fait mal, très mal. Le privé. On prend les gens droit dans les yeux, "tu mérites tellement mieux que ce qu’elle va t’offrir". Kouchner, DSK, tous ces gens ont été contactés pendant la campagne, entre les deux tours. Tous. Et certains avant le premier tour. Il leur disait : j’ai des sondages secrets, c’est foutu pour elle. (…)
Il a aussi le talent du mensonge. Il s’est bien entouré, notamment d’Henri Guaino, sombre et lyrique. Et tous les deux se sont mis à nous raconter une histoire totalement hurluberlue. Le pauvre petit-fils d’immigrés qui allait boire des menthes à l’eau avec son grand-père. Ils ont réussi, et ça, c’est le coup de génie, à nous faire croire qu’il avait changé. Ils sont très forts dans l’art du camouflage. Ils ont réussi à occulter les histoires d’argent, le train de vie, le tempérament. Dans une campagne à l’américaine, tout serait sorti, tous les manquements à la morale. (…) Sarkozy, en résumé, c’est un immense mensonge, c’est une imposture.
Non, mais parfois infantile, oui. En tout cas, avec un manque de tenue et de dimension personnelle évidente. Quand il m’a reçue à l’Élysée, peu après la défaite, pour parler de l’Europe, je l’ai trouvé assez médiocre dans le comportement. Il n’y avait pas de hauteur, d’allure, d’élan, de fair-play. Il aurait pu dire : "Félicitations, nous avons bien combattu, vous portez dix-sept millions de voix." Non, rien, il était là, les bras ballants, à m’offrir des chocolats, à essayer de me faire parler de ma séparation d’avec François Hollande, à dauber sur des journalistes, à exhiber sa montre et à me dire qu’il était là mais qu’il aurait pu être ailleurs "à faire du fric". Pas méchant mais pas l’allure. En fait, il est bien plus fade qu’on ne le croit. Sa force vitale est impressionnante mais c’est vraiment un m’as-tu-vu. Fade, c’est le mot que j’emploierais. Un petit gamin heureux d’être au milieu de ses nouveaux jouets, vous savez, le môme qui a gagné le pompon sur le manège. Avec sa petite étoile de shérif et son pistolet en plastique, son déguisement de cowboy. Il est monté sur le plus grand cheval et il a décroché le pompon. Bingo !"
Martine, Lionel, Jack et les autres…
Martine Aubry me regarde toujours comme quand j’étais sa sous-ministre. Elle le pense vraiment. Il y a eu une primaire, une campagne présidentielle, un score plus qu’honorable et je suis sa sous-ministre. Elle ne me regardera jamais autrement. C’est dommage… Pour elle ! (Elle éclate de rire.) Mais elle n’est pas la seule. Je crois que Mme Jospin ne m’aime pas beaucoup. Pas plus que Mme Strauss-Kahn. Dommage pour elles aussi ! Je gagne à être connue, vous savez !"
"Lionel Jospin a été un très grand Premier ministre, il est très bon sur beaucoup de dossiers mais devient irrationnel sur le parti. Il mute et perd toute sa grandeur."
"Laurent Fabius est brillant, c’est probablement l’un des plus cultivés. Et il reste là, enfermé, caché maladroitement derrière Martine pour le congrès, et on se demande bien ce qu’il peut encore espérer."
"Je ne supporte pas les manipulateurs et les geignards… Le summum, c’est Jack Lang qui a instauré le harcèlement en stratégie de conquête. Dix, vingt, trente coups de fil, matin, midi et soir. On fi nit toujours par céder. Très efficace mais totalement insupportable. Il gagne toujours par K-O."
"Michel Rocard ? Quelqu’un qui me veut beaucoup de bien (…)l’homme merveilleux, le seul homme au monde capable de demander à une candidate de se retirer de la compétition… (éclats de rire)"
Vie privée, vie publique...
"Je n’ai sacrifié personne. On pourrait se dire : "Après tout, elle a tout sacrifié à la politique, c’est donc normal qu’elle ait raté son couple", mais c’est faux, archifaux. J’ai accordé autant de soin à mon couple qu’à mes enfants et à mon boulot. En fait, j’ai essayé. Et ça a raté… (elle réfléchit), c’est une forme d’échec, pour moi qui tiens beaucoup à la famille. Mais c’est peut-être une chance aussi. Ça aurait pu arriver plus tard, sans espoir de me retourner, de retrouver le bonheur. Un mal pour un bien. C’est de toute façon ce qu’il faut se dire. C’est pas mal non plus l’affranchissement, ça ouvre d’autres horizons…"
© Denoël
(*) "Femme Debout", par Ségolène Royal. Entretiens avec Françoise Degois. Denoël, 288 pages, 19 euros.
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