15 Février
Quelle analyse faites-vous de la réforme de l’assurance maladie lancée en 2004 ?

Ségolène Royal : Cette réforme est un grave échec, et je ne m’en réjouis ni pour les Français, ni pour les médecins, ni pour nos régimes sociaux. Les comptes sont dégradés comme jamais depuis 1995 : plus de 60 milliards d’euros de déficits cumulés sur cette législature, soit près de 1.000 euros par Français. Pendant ce temps, la contribution financière des assurés augmente tout comme les tâches de paperasserie imposées aux praticiens.

La réforme de 2004 comportait certaines idées justes mais elles ont été mal appliquées. Le parcours de soin est devenu un « parcours du combattant ». Le système institué est bureaucratique et il culpabilise inutilement les patients. Il est surtout injuste car il soumet les plus modestes à la même contribution que les plus aisés et, en faisant disparaître le tiers-payant, pousse certains à renoncer aux soins. J’ai rencontré des étudiants issus de milieux peu favorisés, pour qui la santé passe après le logement et les repas. Il est inquiétant de constater que, pour l’accès au spécialiste ou à une prise en charge en milieu hospitalier lucratif, même les classes moyennes ne peuvent plus faire face.

Face à un déficit abyssal, peut-il y avoir une différence de politique en matière de financement de la santé entre la gauche et la droite ?

SR : Votre question souligne d’abord la très mauvaise gestion qui nous est imposée depuis 2002 : où est le retour à l’équilibre promis pour ? Où est la maîtrise de la dette sociale? Quant à la différence entre les projets, elle réside dans des conceptions divergentes de la santé et de l’accès aux soins. Si l’on vise un bon niveau de santé de la population avec un égal accès aux services de santé, alors il faut s’appuyer sur un dispositif de financement solidaire. Les efforts demandés à nos concitoyens pour assurer leur couverture maladie doivent être proportionnels à leurs capacités contributives. Mais l’idée de sanctionner chacun par une franchise dont le montant progresserait en fonction de la croissance des déficits, comme le prévoit la droite, me révolte. C’est un mur sanitaire qu’elle veut ériger en bloquant l’accès au médecin pour les plus modestes. Le porte-parole du candidat de l’UMP, qui est aussi ministre de la santé, est bien placé pour savoir qu’une telle formule ne marche pas.

Il faut être ferme sur le respect des principes fondateurs de la sécurité sociale, que l’on ne peut résumer à la socialisation des pertes et la privatisation des profits ! Je propose une large concertation avec le Parlement, les professionnels, les partenaires sociaux et les usagers pour adapter l’architecture du financement de la santé. Les régimes complémentaires seront un partenaire essentiel de cette réforme. Enfin, je précise que ne crois pas à la notion de « petit risque » qu’il ne faudrait pas prendre en charge, et dont personne n’a jamais réussi à définir les contours. C’est le service médical rendu qui doit nous servir de repère.

Le programme du PS insiste beaucoup sur le rôle du médecin généraliste. Que comptez-vous faire du dispositif du médecin traitant et du parcours de soins ?

SR : Je veux réformer le parcours de soins en le simplifiant, en le transformant en parcours coordonné de santé, et en restaurant pleinement la notion de médecine de première ligne. Mon objectif est la santé pour tous. Ceci suppose bien entendu une approche globale qui ne se limite pas aux soins : notre politique en faveur de l’environnement, du logement social, ou de l’emploi aura non seulement pour effet de soigner les plaies qui accablent le pays dans ces domaines mais aussi de faire progresser le bien-être et donc la santé. Tout ceci n’aura de sens qu’en consacrant le rôle du généraliste. Il faut définir les conditions qui permettent au patient de bénéficier de la prévention et de l’éducation en santé – si négligée aujourd’hui, comme le sont la médecine scolaire et la médecine du travail d’ailleurs -, d’avoir accès au dépistage tout au long de la vie et de bénéficier d’une garantie des soins nécessaires, grâce au tiers payant, notamment.

Le développement de la liberté d’honoraires vous inquiète-t-il ? Estimez-vous que l’accès aux soins en France est aujourd’hui menacé ?

SR : Oui l’accès aux soins est menacé. Oui, avec la droite, nous irions vers une médecine à deux vitesses. J’ai entendu de nombreux témoignages de patients qui renoncent à une intervention dans des cliniques, voire à une prise en charge dans le secteur libéral des médecins hospitaliers, parce qu’ils ne peuvent régler la facture. Je suis particulièrement inquiète de la manière dont s’engage le débat sur la création d’un secteur optionnel. Je crois qu’il faut chercher d’autres pistes pour rémunérer la compétence et l’investissement personnel des professionnels, d’où mon souhait d’associer le régime général et les mutuelles à la recherche de solutions innovantes.

Nous touchons au cœur d’un débat de société. Soit nous réussissons à établir des honoraires opposables, soit l’accès au médecin est dérégulé et c’en est fini de notre modèle de financement socialisé avec tous les dégâts sanitaires qui en découleraient. A regarder les choix opérés depuis cinq ans, je ne doute pas que cette politique vise en fait à privatiser plus encore notre système de santé : est-ce l’intérêt des médecins de ce pays ?

Lors des primaires au PS, vous avez évoqué la crise démographique traversée par la médecine générale. Quelles solutions comptez-vous mettre en œuvre pour les déserts médicaux ? Faut-il innover dans les modes de rémunération ou aller vers un conventionnement sélectif des médecins ?

SR : Nous avons privilégié les solutions incitatives et non coercitives pour répondre à la question de la répartition des professionnels de santé sur le territoire. Je fais le pari d’un pacte de confiance avec les partenaires de santé. Par exemple, je propose, en partenariat avec les collectivités territoriales, des financements de bourses d’études, d’aides à l’installation, et de services aux professionnels.

Sur le sujet des modes de rémunération, notamment dans les zones défavorisées, il ne faut pas se focaliser sur la seule rémunération à l’acte. On peut imaginer d’expérimenter des formes d’exercice mixtes, ou proposer à ceux qui le souhaitent d’opter soit pour le salariat, soit pour le forfait. On peut concevoir un exercice confraternel de groupe où travaillent ensemble des généralistes rémunérés à l’acte et d’autres qui font d’autres choix sur la base d’un contrat commun. A cet égard, les maisons de santé que je propose de créer permettront d’avancer dans ces voies nouvelles

Je crois qu’il faut préserver la convention nationale, mais rien n’interdit de conclure en plus des accords régionaux et locaux autour d’objectifs de santé et de couverture du territoire. C’est ainsi qu’on peut lutter contre les inégalités. Je pense aussi que l’articulation, au sein d’un territoire de santé, de la PMI, de la médecine scolaire, de la médecine du travail et de la santé environnementale, avec les généralistes est souhaitable.

Le programme du PS propose la création de 500 maisons de santé. Vous en avez expérimenté le concept en Poitou-Charentes. Quels en sont les avantages pour les professionnels et pour les patients ?

SR : La création des maisons de santé répond en partie aux préoccupations que je viens d’exprimer. En Poitou-Charentes, j’essaie, avec les compétences qui sont celles d’un président de région, d’expérimenter des solutions concrètes pour répondre aux problèmes d’organisation des soins dans des territoires souvent sous-médicalisés.

Ce que je souhaite avec les maisons de santé, c’est faciliter les conditions d’exercice des médecins et aussi des autres professionnels. Il faut favoriser le travail en commun et répartir la charge de travail pour la rendre compatible avec une vie personnelle et familiale équilibrée. Pour le patient, les maisons de santé garantiront l’accès à un service de santé et une prise en charge globale autour d’un dossier de soins partagé et d’une prévention assurée tout au long de la vie.

Des médecins de ville se plaignent d’agressions et de violence. Quelles sont vos propositions pour enrayer ce phénomène ?

SR : Toute violence est inacceptable, mais elle l’est d’autant plus lorsqu’elle frappe celles et ceux qui se sont placés au service des autres. L’assassinat récent d’une infirmière libérale, drame dont on a peu parlé, m’a bouleversée. Les mesures de sécurité doivent être conçues dans le cadre, notamment, d’un renforcement de la police des quartiers, qui a été supprimée par l’actuelle majorité, et d’une sécurisation des lieux d’exercice. Pour les professionnels qui font des visites ou qui sont seuls, il faudra étendre les dispositions prises dans les hôpitaux avec des équipements du type protection des travailleurs isolés (PTI).

Mais il ne faut pas faire du malade, en particulier celui qui est en souffrance psychique un adversaire potentiel. Le renforcement de la coordination des soins devrait permettre de prévenir certains risques. Selon la situation locale, il faudra adopter des plans de sécurité pour les professionnels, notamment dans le secteur de la santé mentale.

La notion de jurys citoyens est une des originalités de votre programme. Cette idée peut-elle faire progresser aussi la démocratie sanitaire ?

SR : Je crois beaucoup à l’expérimentation de cette formule, testée lors des Etats généraux de la santé par Bernard Kouchner et au moment de l’élaboration des programmes régionaux de santé publique. Je propose d’étendre la formule dans les territoires où émergera la volonté de bâtir un projet de santé, fédérant professionnels et institutions et tenant compte des financements disponibles. Je ne veux pas d’un usager simple consommateur, je veux que la santé devienne la préoccupation de citoyens responsables.

Droite comme gauche insistent sur la nécessité de régionaliser le système de santé. A quelles conditions, cela vous semble t-il possible ?

SR : La régionalisation est indispensable. Il n’est pas possible d’organiser concrètement la santé depuis un ministère, à Paris. Les problèmes sont différents selon les territoires, qu’il s’agisse de démographie des professionnels ou des déterminants de santé. Je propose d’amplifier la régionalisation actuelle en créant des agences régionales de santé où Etat, élus locaux, professionnels, partenaires sociaux et usagers se concertent. Je propose aussi qu’à l’échelon des territoires de santé, par grands bassins de vie, on organise cette concertation autour d’un projet de santé de territoire. Ces projets de santé doivent permettre dans les agglomérations, dans les pays, dans les lieux d’intercommunalité, avec les maisons de santé notamment, de définir un premier niveau de soins primaires. C’est possible à la condition de ne pas vouloir tout codifier et de permettre le financement d’expériences de soins de proximité.

Je veux, au delà des orientations présentées ici, vous dire que c’est par la confiance envers les professionnels et en les écoutant pleinement qu’il sera possible de changer les choses. Notre système de santé a un formidable potentiel. Si nous réussissons ensemble à définir un cap et à nous y tenir, alors nous pourrons demain être fiers d’avoir fait en sorte ce que nos concitoyens, et en particulier les plus faibles d’entre eux, aillent mieux.
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