Ségolène Royal : "On a trop souffert de l'obstination des décideurs"
Arrivez-vous affaiblie à l'issue des six débats de la primaire socialiste ?
Je ne me sens pas du tout affaiblie, au contraire. Ces débats, conçus à l'origine pour m'éprouver, passer du virtuel au réel, selon le mot de mes compétiteurs, ont renforcé ma légitimité et ma crédibilité. Le PS en sort grandi aux yeux des Français en ayant donné l'exemple de la transparence et de la modernité.
En cas de second tour, Dominique Strauss-Kahn estime que vous n'avez pas de réserve de voix.
A ce stade, je ne veux pas me placer dans cette situation, puisque je souhaite que le résultat soit clair et net dès le premier tour, ce qui permettrait de mieux conserver l'unité des socialistes et de leur donner un élan face à la droite.
Votre position sur le nucléaire civil iranien ne correspond pas au traité de non-prolifération (TNP). Pensez-vous que le danger est tel qu'il nécessite une approche différente ?
Mon approche correspond aux traités internationaux, qui sont clairs. La résolution 1696 du Conseil de sécurité du 31 juillet enjoint à l'Iran d'arrêter l'enrichissement au 31 août sous peine de sanctions. Il s'agit bien d'enrichissement dans l'accès au nucléaire civil car l'Iran en refuse le contrôle prévu par le TNP.
C'est parce que cet enrichissement est soupçonné d'être militaire.
Non, pas à ce stade. Le TNP impose le contrôle de l'Agence internationale de l'énergie atomique sur l'enrichissement du nucléaire, y compris à des fins civiles, dans son article 3. Le Conseil de sécurité a pris cette résolution puisque l'Iran a refusé de se plier aux inspections de l'agence de Vienne, condition indispensable pour avoir le droit d'exploiter du nucléaire civil.
Vous avez reculé sur certaines polémiques que vous avez lancées : encadrement militaire pour jeunes délinquants devenus des camps humanitaires ou sur les jurys de citoyens que vous n'appelez plus jurys.
Il ne s'agit pas de reculs, mais d'apporter des précisions par rapport à des polémiques ou à des déformations de mes propos. J'ai toujours dit que j'étais favorable à toutes les alternatives à la prison pour les jeunes condamnés, dont le taux de récidive dépasse 70 %. J'ai cité une solution consistant à les réintégrer avec un encadrement militaire. Mais pour reconquérir l'estime de soi, il faut aussi se prouver qu'on est capable de rendre service aux autres, de participer par exemple à des actions humanitaires. Il n'y a là aucune contradiction.Je ne suis pas dans la politique traditionnelle du tout ou rien. La politique a trop souffert de l'obstination des décideurs, qui ont peur parfois de s'adapter ou d'ajuster les choses : on l'a vu avec un responsable qui se disait droit dans ses bottes ou sur le CPE.
La politique respectueuse des gens consiste à ne pas avoir peur de préciser et de faire de la pédagogie. Ma valeur, c'est d'éviter la prison et de remettre les jeunes dans le droit chemin. S'il faut expliquer le mot militaire, qui a été, de bonne ou de mauvaise foi, mal compris, je le fais sans orgueil politique mal placé.
De même, il existe bien d'autres jurys que ceux des cours d'assises, comme les jurys littéraires ou d'examen. J'ai expliqué ce mot pour que l'idée continue à faire son chemin. Ça, c'est une façon moderne de faire de la politique.
Sur la carte scolaire, vous parlez désormais d'un choix entre un ou deux collèges. Après avoir fait un diagnostic, vous peinez à proposer des solutions.
Les solutions ne sont pas figées à ce stade, elles sont en recherche. Petit à petit, je vais faire comprendre le sens de cette nouvelle action politique. Les débats se sont organisés autour de mes propositions, parce que, consciemment ou non, chacun a reconnu que j'avais le courage de poser des problèmes profonds. J'ai toujours dit que ma campagne serait une campagne participative et les réponses vont émerger.
Sur la carte scolaire, les solutions seront discutées avec les maires pour le primaire, les départements pour les collèges et les régions pour les lycées. Il n'y a pas de réponse simpliste à des problèmes complexes. Il est temps de sortir des décisions uniformes. Selon les endroits, la réforme de la carte scolaire sera justifiée. Là où elle fonctionne, elle ne le sera pas.
Vous avez été accusée de populisme par vos adversaires qui vous mettent dans le même sac que Nicolas Sarkozy. Qu'y a-t-il de commun entre sa démarche et la vôtre ?
Rien. Je n'ai absolument pas la même conception de la responsabilité politique. Je suis socialiste, je ne suis pas pour dresser les Français les uns contre les autres. Le populisme, c'est cela. Moi, au contraire, je crois à l'intelligence collective d'un peuple majeur auquel je fais appel.
L'ordre juste est-il compatible avec la grâce annoncée par avance à José Bové et aux destructeurs d'OGM ?
Cette mesure correspond à l'ordre juste au sens où la cause est juste. A partir du moment où l'on prive les Français de ce débat très important, qui a été retiré de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, c'est le pouvoir qui est en faute.
Je n'ai pas cautionné l'atteinte à la propriété, mais j'ai dit que je comprenais des gestes qui sont provoqués par l'absence de débat et de décision transparente. On a trop souffert des secrets et des lobbies financiers sur l'amiante, le nuage de Tchernobyl, sur la sécurité alimentaire. Si je suis élue, le débat aura lieu et il y aura une transparence totale sur les données scientifiques environnementales qui concernent la vie des gens.
Qui détermine l'ordre juste ?
L'ordre juste, ce sont les règles collectives. C'est la loi qui les détermine et, surtout, les actions publiques qui permettent de lutter contre les désordres injustes.
La loi interdit de détruire des champs d'OGM.
La loi sanctionne les atteintes à la propriété. Mais il y a, dans la Constitution, un principe de précaution, inclus dans la charte de l'environnement qu'a fait voter la droite. En vertu de ce principe, qui n'est pas mis en ?uvre, les OGM en plein champ devraient être interdits. Aujourd'hui, on est dans le désordre.
Faut-il que Jean-Marie Le Pen puisse se présenter à la présidentielle ?
Je voudrais surtout que les Français se détournent de lui.
Comment faites-vous la synthèse entre l'altermondialisme et le modèle nordique, deux pôles dont vous vous réclamez ?
Mon objectif est de prendre ce qu'il y a de meilleur dans les modèles d'aujourd'hui. Il n'y a aucune incompatibilité à développer un syndicalisme de masse, responsable, comme dans les pays nordiques, qui a permis de faire converger les intérêts des entreprises, des salariés et d'un pays par une meilleure répartition des fruits du capital et du travail et à reprendre les idées des altermondialistes qui réclament, à juste titre, un autre mode de développement.
La synthèse entre ces deux modèles, solidaires et égalitaristes, passe-t-elle par une hausse forte des impôts et des prélèvements obligatoires ?
Non, il n'y a aucune raison d'augmenter les taux de prélèvements obligatoires. Cela passe par une meilleure répartition des investissements et par un investissement massif dans la recherche, dans les qualifications professionnelles et dans le dialogue social. Avec les investissements dans la valeur travail et dans l'innovation, nous rendrons les entreprises plus compétitives et réduirons le chômage.
Où trouvez-vous les économies nécessaires à ces investissements ?
Aujourd'hui, le pays est bloqué parce qu'on a un Etat central qui s'oppose aux régions sous prétexte que les régions sont dirigées par les socialistes. Si l'on crée un mouvement de confiance et si l'Etat central tire dans le même sens que tous les acteurs économiques, on peut relancer rapidement une croissance durable. J'y crois.
Comment jugez-vous la possibilité, pour la première fois, de voir une femme élue présidente ?
Ce serait un événement historique. Ce cheminement est regardé à l'étranger avec grand intérêt. Avec Angela Merkel, Michelle Bachelet, les femmes dirigeantes sont une infime minorité. Mais les itinéraires se confortent. Le principal reproche entendu à propos de chacune porte sur leur légitimité, leur savoir-faire, leur carrure. Il y a une aspiration à un changement profond, à une responsabilité redoublée, une exigence encore plus forte.
Propos recueillis par Arnaud Leparmentier et Isabelle Mandraud
Quel objectif de réduction des émissions de notre pays vises-tu pour la fin de ton mandat ? Dans quelle tendance s’inscrit-il à l’horizon 2020 et 2050 ?
Le changement climatique est la principale menace environnementale qui pèse sur notre planète et sur l’Humanité. La lutte contre ce réchauffement doit, enfin, devenir une priorité absolue dans notre pays, comme partout dans le monde.
Ne nous y trompons pas : pour avoir une chance de stabiliser le climat au 21ème siècle, ou du moins limiter l’ampleur du réchauffement, nous devrons diviser les émissions par 2 à l’échelle de la planète, et donc, pour parvenir à ce résultat global, par 4 dans les pays aujourd’hui développés d’ici 2050. C’est un défi redoutable.
Cela nécessite d’être capable, à plus court terme, pour nous placer sur cette trajectoire, de les réduire de l’ordre d’un tiers d’ici 2020, ce qui est déjà considérable. Or, 2020, c’est demain. Nous devrons donc, dès le lendemain de l’élection présidentielle, prendre des décisions fortes dans les secteurs principalement responsable de l’augmentation de nos émissions - logement et transport – pour que s’enclenche ce processus de diminution. Cela nous permettra, dès 2012, de réduire nos émissions de quelques points.
Quelles mesures proposes-tu pour améliorer l’efficacité énergétique, la baisse de la consommation et l’utilisation d’énergies renouvelables dans le bâti existant ?
Pour réduire nos émissions, et, dans le même temps, réduire notre dépendance aux hydrocarbures – à commencer par le pétrole – et aussi faire baisser la pollution urbaine, deux axes seront déterminants.
Le premier axe, ce sera d’engager notre pays sur la voie de la sobriété énergétique, d’une plus grande efficacité dans l’usage de nos consommation. Il y a aujourd’hui un gaspillage énorme, dans l’habitât, parce qu’on isole mal les locaux, et dans les transports, parce qu’on utilise des modes de déplacement qui ne sont pas optimaux.
Pour cela, je lancerai un très grand plan d’isolation thermique des logements sociaux, qui devra être réalisé pendant le durée du quinquennat. Je rendrai ensuite obligatoire la démarche de Haute Qualité Environnementale pour toutes les constructions neuves maîtrisés par les
collectivités publiques (Etats, collectivités locales, établissements
publics…). Mais nous devons voir plus loin : traiter les bâtiments un par un ne suffit pas. Lorsque de grandes opérations de rénovation ou de transformation urbaines existent, c’est à l’échelle de ces nouveaux quartiers qu’une démarche d’efficacité énergétique et environnementale devra être imposée, rendant obligatoire une réflexion d’ensemble sur le chauffage et l’eau chaude sanitaire (solaire thermique, géothermie…), le traitement de l’eau, l’élimination des déchets, le raccordement aux transports collectifs etc…
Dans ce cadre général, il sera indispensable de beaucoup plus utiliser les énergies renouvelables. En particulier, je pense qu’il n’y aucune raison de ne pas rendre obligatoire le recours au solaire thermique pour les constructions d’immeubles collectifs, à partir d’une certaine taille.
Pour ce qui concerne les transports, nous devrons développer les transports collectifs en ville et en agglomération, pour offrir, plus souvent qu’aujourd’hui, une alternative à la voiture. Mais nous devrons aussi accélérer la diffusion des voitures propres face aux véhicules polluants.
Nous devrons lancer, enfin, un grand plan en faveur du ferroutage, de façon à diminuer la part du transport des marchandises par camions. Nous devrons, de la même manière, accélérer la constitution du réseau de lignes à grandes vitesses, de façon à réduire la place de l’avion pour les déplacements de courte distance.
Le deuxième axe, se sera de se lancer résolument dans la recherche des technologies et des énergies de demain, ou pour améliorer le rendement de celles qui existent déjà – solaire photovoltaïque, biocarburants… -, qui nous permettront de préparer l’après pétrole et de renforcer encore notre efficacité énergétique. Nous devrons le faire en France, mais l’Europe pourra évidemment jouer un rôle essentiel également sur ce point, pour fédérer les énergies et mutualiser les projets.
Par quels modes de financement spécifiques penses-tu réaliser cette mesure du projet ?
Je suis favorable à une utilisation très importante de la fiscalité écologique, pénalisant les activités polluantes, encourageant les usages efficaces de l’énergie, et pour l’utilisation des recettes qui en résulteront pour financer les travaux nécessaires.
Le Gouvernement Villepin projette un plan pour la construction de 2900 km d’autoroutes dans les 20 prochaines années. Es-tu favorable à un moratoire sur les projets de construction
d’autoroutes ?
Il est clair que ce dont notre pays a besoin, si l’on veut être cohérent avec les objectifs qui doivent être les nôtres en termes de réduction d’émission de GES d’ici 2020 et 2050, ce ne sont pas des milliers de kilomètres d’autoroutes, mais des milliers de kilomètres de lignes de ferroutage, de lignes à grande vitesse, de lignes de TER ou de tramways.
Ceci dit, faut-il un moratoire généralisé sur les autoroutes ? Entre rien et 2900 kilomètres, il faut examiner chaque projet dossiers et son utilité, mais de façon très exigeante, en tenant compte de nos objectifs de
réduction des émissions, et en comparant les autoroutes non seulement par rapport aux infrastructures de transport collectif mais également par rapport aux autres types de routes.
Souhaites-tu pénaliser fiscalement les véhicules les plus polluants ?
Il n’est plus acceptable, lorsque des véhicules n’émettant plus qu’entre 100 et 140 g de C02 au km sont désormais largement disponibles, de ne pas pénaliser fiscalement un véhicule très polluant. En contrepartie, le crédit d’impôt pour les véhicules propres pourra être augmentés. Et les recettes qui résultent de la fiscalité sur les véhicules polluants permettront de financer l’extension des transports collectifs.
Comment comptes-tu lutter contre les augmentations excessives des loyers et pour la construction des logements sociaux les plus accessibles aux revenus modestes ?
La réponse à cette question relève de l’enjeu plus général, et prioritaire,
de la crise du logement. Je souhaite notamment que l’Etat reprenne la main dans ce domaine lorsque les communes ne respectent pas les obligations qui leur son imposées par la loi.
Mais la politique de l’environnement a également un rôle à jouer si nous voulons alléger la part des dépenses liées au logement dans le budget des ménages. Plus aucun permis de construire ne doit être délivré sans que soient obligatoirement intégrées des installations en énergie renouvelable et en récupérateurs d’eaux pluviales. En Région Poitou-Charentes, c’est une baisse des charges de 40 à 50% que nous avons ainsi obtenue.
Quelles sont les principales mesures en matière de fiscalité écologique que tu comptes soutenir aux niveaux européen et français ?
Les taxes existantes doivent évoluer pour mieux appliquer le principe pollueur-payeur : taxation des émissions de gaz à effets de serre, taxation de l’eau à son juste prix, taxation européenne du kérosène pour les vols intérieurs, etc.
L’objectif est d’agir réellement sur les comportements, sans pour autant nuire à la compétitivité mondiale des entreprises européennes. La fiscalité écologique mise en place en Suède depuis 1990 est un bon exemple de politique efficace. Je me battrai pour que nous avancions dans cette direction.
Sachant que le transport automobile génère autant d’émissions
de GES que le transport routier de marchandises, quelle est ta position à propos d’une baisse de la fiscalité du carburant, parfois proposée pour compenser la hausse du prix à la pompe ?
Je ne pense pas que cela soit une bonne idée, et encore moins un service à rendre à nos concitoyens, que de baisser les taxes sur l’essence au fur et à mesure de l’augmentation de son prix hors taxe. Cela ne ferait que masquer une réalité inéluctable : la certitude d’une hausse continue du prix de l’essence au fur et à mesure de l’épuisement des ressources pétrolière, et retarder les choix nécessaires.
Nous rendrons bien plus service à nos concitoyens en leur permettant d’échapper à une sorte d’obligation de consommer un tel niveau d’essence. Trois choses sont essentielles pour cela :
- d’abord, accélérer le développement des transports en commun, et, le cas échéant, la mise en place de tarification sociale pour aider nos concitoyens les moins aisés à les emprunter.
- ensuite, je l’ai dis, accélérer la diffusion de voitures plus propres, moins
gourmandes, moins polluantes, si besoin est par des mesures réglementaires, et non seulement fiscales.
- enfin, préparer les carburants alternatifs de demain, par un grand
programme de recherche, dont l’Europe pourrait utilement prendre l’initiative.
Es-tu favorable à une sortie progressive du nucléaire ?
La part du nucléaire dans la production d’électricité est aujourd’hui excessive. Elle devra diminuer pour être remplacée par une production issue des énergies renouvelables disponibles (éoliennes, solaire photovoltaïque…) ou qui seront issues, demain, des travaux de recherche, qui devront d’ailleurs être considérablement augmentés.
Cette diminution de la part relative du nucléaire sera, dans ce contexte, d’autant plus importante que nous serons par ailleurs capables de réduire nos besoins énergétiques, notre consommation globale.
Ferais-tu de la création d’emplois « développement durable », mais aussi du développement de l’économie sociale et solidaire, un axe majeur de la politique de l’emploi et présenté comme tel aux français lors de la campagne présidentielle ?
Il existe aujourd’hui un champ considérable pour la création d’emplois
dans le domaine de l’environnement et du développement durable. Notre engagement dans la voie de l’excellence environnementale deviendra de ce point de vue l’un des moteurs de la création d’emplois dans notre pays au cours des vingt prochaines années. Que l’on songe au secteur du bâtiment, avec les travaux d’isolation nécessaires, ou l’incorporation de normes énergétiques renforcées dans les constructions neuves, au secteur de l’aménagement urbain, des transports, de l’agriculture biologique, des énergies renouvelables… il y a tant à faire !
Plus globalement, nous devrons aussi relancer les programmes de protection de l’environnement en permettant aux associations de protection de la nature d’embaucher à nouveau avec l’aide de l’Etat.
Soutiens-tu une redistribution des subventions agricoles plus favorables à l’agriculture biologique, et l’octroi de primes d’installation attractives pour les agriculteurs bio ?
Oui, absolument. Le modèle d’agriculture intensive poussé à l’extrême provoque désormais des dégâts dont chacun prend conscience, en termes d’usage excessif de la ressource en eau, alors que les épisodes de sécheresse se multiplient, en termes de pollution des sols et des nappes par les pesticides et les nitrates, et en termes d’atteinte à la santé qui en découlent. Et face aux menaces environnementales découlant des OGM, il est urgent d’appliquer strictement le principe de précaution.
Notre pays est très en retard dans le domaine de l’agriculture biologique.
Chez certain de nos voisins européens, les surfaces correspondantes sont cinq fois plus importantes.
Es-tu favorable à un plan d’action ambitieux pour protéger la
biodiversité dans les DOM-TOM, ainsi qu’au renforcement de la loi Littoral et du contrôle de son application ?
Oui, bien sûr. Face à la chute drastique de la biodiversité à laquelle nous sommes confrontés à l’échelle de la planète, la France à une responsabilité particulière, car elle renferme à elle seule, du fait de la variété de son territoire, 50 % de la biodiversité européenne.
Mais cette biodiversité est absolument exceptionnelle outre-mer, que ce soit aux Antilles, en Guyane, à la Réunion, en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie. La première urgence, face aux menaces qui pèsent sur elles, est de sauvegarder la forêt et la biodiversité guyanaises, et de contribuer ainsi à la protection de l’ensemble amazonien, de veiller sur la protection du lagon calédonien, etc.
Quant à la loi Littoral, sa remise en cause permanente n’est pas admissible, alors qu’elle constitue un outil incomparable pour protéger nos zones côtières et humides, et la biodiversité qui s’y trouve. Les moyens du Conservatoire du littoral doivent être augmentés.
Es-tu favorable à des mesures en France visant à pénaliser les modes d’exploitation non durables des ressources naturelles ? Peux-tu en citer quelques-unes ?
Deux sujets sont particulièrement importants dans le contexte que vous
évoquez : la surexploitation de la forêt équatoriale d’une part, à cause de la consommation abusive des bois qui en proviennent ; et la surexploitation de certaines zones de pêches. Nous devrons agir sur ces deux volets.
Serais-tu prête en plus à défendre au sein de la communauté
internationale la création d’un Tribunal Pénal International de l’Environnement chargé de traiter les crimes d’atteinte à
l’environnement ?
S’il existe, à un moment donné, au plan international, une opportunité pour une telle mesure, pourquoi pas, mais regardons la réalité en face : depuis qu’un gouvernement de gauche, en France, en 2000, a lancé l’idée de la création d’une Organisation mondiale de l’environnement, les choses n’avancent à l’ONU que très lentement. Il est très difficile sur ces sujets de faire émerger un consensus international. Cela prend des années.
Alors, continuons d’abord à faire de la création d’un OME une très forte priorité, à mobiliser sans cesse nos partenaires européens, à convaincre un à un les pays du Sud, et nous serons utiles à la défense de l’environnement au niveau mondial.
Es-tu favorable à un renforcement de la loi NRE (élargissement à 250 entreprises, réalisation d’audits par les syndicats…) ?
Oui, d’autant plus que beaucoup d’entreprises, après une période d’adaptation et un démarrage un peu difficile, jouent plutôt bien le jeu, et
ont compris l’intérêt, pour elles-mêmes, de cette démarche. Il existe une vraie opportunité pour aller plus loin, et faire des entreprises un levier supplémentaire de l’action en faveur du développement durable.
Souhaites-tu augmenter fortement le budget de l’Ademe et dans quelles proportions ?
Il faudrait plutôt dire « restaurer » le budget de l’Ademe, qui a été massacré par la droite depuis 2002, comme elle l’avait d’ailleurs fait entre 1986 et 1988, puis entre 1993 et 1995. Son budget devra immédiatement revenir à son niveau de 2001, puis être augmenté. Cette Agence à tant à faire en matière de maîtrise de l’énergie et de développement des énergies renouvelables !
Dans ta vie quotidienne, quels sont les gestes que tu mets en
oeuvre pour préserver l’environnement ?
On peut faire beaucoup soi même : trier ses déchets, réduire sa consommation en chauffage et en électricité, favoriser le train sur l’avion etc… Mais j’ai aussi la chance, en tant que Présidente de Région, de pouvoir agir dans ma vie quotidienne au service de l’environnement en mettant en place une grande politique publique ambitieuse à l’échelle de ma région. C’est cette même ambition que je souhaite développer pour la France.
Chère camarade, cher camarade,
Notre monde a profondément changé depuis la fin de la guerre froide. L’Europe a été réunifiée dans la paix et c’est une immense chance. Mais elle ne pèse pas assez sur la scène internationale et la France ne pèse plus assez en Europe. Or, le monde a besoin de l’Europe et l’Europe a besoin de la France. L’unique hyperpuissance, les Etats-Unis, a parfois préféré la force au droit, suscitant la rancoeur des humiliés dont s’emparent les fanatismes. D’autres puissances s’affirment, comme la Chine ou l’Inde, et vont jouer un rôle central dans les années à venir. La mondialisation économique et culturelle multiplie les interdépendances mais s’impose sans que soient construites les solidarités nécessaires. Des dangers nouveaux apparaissent comme le terrorisme et la prolifération nucléaire. Enfin, nous sommes face à une responsabilité majeure : assurer la survie de notre planète en mettant fin à la dégradation de l’environnement.
Ce monde est à la fois dangereux et riche de potentialités. Si je suis élue, la France se mobilisera contre les désordres du système international, pour construire un ordre international juste. Je veux mieux protéger la France et les Français des menaces multiformes que provoque l’instabilité internationale. Mais je veux aussi créer les conditions d’un nouveau dynamisme en Europe et dans le monde. Une politique étrangère, ce sont des intérêts à défendre mais aussi des valeurs et une ambition pour son pays. Une action exemplaire dans le domaine de l’environnement en sera une pierre angulaire. Je prends ici quatre engagements :
Protéger
L’Europe, telle qu’elle se bâtit aujourd’hui, n’exploite pas assez ses atouts de très grande puissance économique et commerciale. Elle n’est pas assez politique, elle ne protège pas suffisamment ses citoyens contre les effets pervers de la mondialisation. Elle n’a pas suffisamment coordonné son effort de défense et n’a pas de véritable politique étrangère commune. Je veux revitaliser l’ambition européenne, en lien avec nos partenaires, redonner le goût et l’envie de l’Europe à nos concitoyens, autour de projets concrets, au premier rang desquels l’environnement et la recherche. Contre le terrorisme et la prolifération nucléaire, contre le changement climatique et les dommages infligés à l’environnement, contre l’exploitation de la misère humaine par les passeurs des filières d’immigration clandestine, contre le moinsdisant social et l’ultralibéralisme, la France doit être à la pointe de ces combats dans et avec l’Europe. L’Union européenne poursuivra sa construction, nécessaire pour faire face aux puissances de demain, en faisant la démonstration de son utilité pour tous. C’est ce que j’appelle l’Europe de la preuve.
Construire
Face aux tristes prophètes du déclin, je veux redonner à nos concitoyens la fierté d’être Français et d’agir dans le monde, pour la paix, pour le développement, pour l’excellence environnementale. Nous avons notre contribution spécifique à apporter à un monde plus juste. Je veux promouvoir un multilatéralisme moderne, fondé sur une organisation des Nations-unies plus efficace pour la promotion de la paix et sur une solidarité rénovée pour le développement qui est au coeur de la démarche des socialistes. Nos militaires contribuent au maintien de la paix dans beaucoup de zones de crise. Mais nous pouvons faire plus et mieux, en organisant notre politique étrangère autour de nos valeurs républicaines, à rebours de tout choc des civilisations. Nous devons introduire, dans les organismes internationaux, les critères sociaux et environnementaux. Nous devons revoir de fond en comble notre politique d’aide au développement qui est insuffisante et n’arrive pas toujours aux personnes qui en ont besoin. Enfin, nous devons être au coeur de l’économie du savoir, de la connaissance et de l’innovation, qui dessine les contours du monde de demain et je donnerai toute leur place aux Français de l’étranger dont le dynamisme doit être reconnu et valorisé.
Faire participer
Le président de la République doit savoir affronter les crises en temps réel mais il doit expliquer aux Français le sens de la politique étrangère de la France, car les Français sont concernés, dans leur vie, par l’état du monde. Je veux revaloriser le rôle du Parlement en matière de politique étrangère et de défense ainsi que dans la conduite des négociations commerciales internationales, comme le prévoit notre projet. Notre jeunesse a soif d’engagement : je veux stimuler sa générosité, notamment via le service civique, et donner toute leur place au travail des ONG et à la coopération décentralisée, au service d’une présence de la France renouvelée dans le monde.
Faire de la France le pays de l’excellence environnementale
J’en prends l’engagement : la France sera le pays de l’excellence environnementale. Je ne céderai pas sur cet enjeu essentiel, je l’imposerai à toutes les pesanteurs, y compris dans le domaine agricole, à tous les lobbies dans l’industrie, dans les transports, partout, là où il faut lutter au quotidien pour que les valeurs collectives, pour que l’accès aux biens publics au niveau de la planète, l’emportent sur les logiques financières. La promotion de l’environnement est une exigence, pour nous et pour nos enfants, mais elle est aussi une chance, car c’est là que sont les emplois de demain.
Géopolitique, prolifération, nucléaire, terrorisme : quelles solutions préconises-tu pour rendre efficace la non-prolifération nucléaire ? Quelle position adopter à l’égard de l’Iran, du Pakistan et de la Corée du Nord ? Quelle sortie de crise pour les conflits en Afghanistan, en Côte-d’Ivoire, dans la région des Grands Lacs, en Somalie et au Moyen-Orient ?
La prolifération nucléaire est une menace qu’il faut prendre au sérieux : elle mine la crédibilité de la dissuasion et fait courir de graves risques d’instabilité à certaines régions du monde très fragiles. Il faut donc faire respecter le droit international et d’abord le Traité de non prolifération (TNP). Celuici prévoit des mesures de contrôle confiées à l’Agence internationale pour l’énergie atomique afin de prévenir le passage du nucléaire civil au nucléaire militaire. C’est dans ce cadre que l’AIEA a repéré des dissimulations de programmes inquiétantes de la part de l’Iran. Si les grandes puissances auxquelles le TNP autorise le nucléaire veulent garder une crédibilité, il faut qu’elles aussi marquent une volonté d’apaisement et de respect du droit international. Et je regrette que les États-Unis n’aient pas ratifié le Traité sur l’interdiction des essais nucléaires (TICE).
En ce qui concerne, l’Afghanistan qui affronte encore la misère et le terrorisme, la présence d’Al-Qaïda sur son territoire interdit tout désengagement. La France a envoyé ses soldats pour participer au retour de la stabilité et pour bloquer l’expansion terroriste. Elle doit continuer à assumer ses responsabilités, très attentive à la sécurité de ses troupes. En Côte d’Ivoire, il faut travailler à la réconciliation nationale. La seule issue est l’application des résolutions de l’ONU, y compris la dernière, donnant les moyens à un Premier ministre respecté de conduire le pays à des élections transparentes.
L’Iran poursuit son programme d’enrichissement de l’uranium qui pourrait être utilisé à des fins militaires. C’est un vrai risque, parce que le gouvernement iranien actuel a multiplié les déclarations menaçantes à l’égard d’Israël et parce que d’autres pays de la région peuvent être tentés de se doter à leur tour de l’arme nucléaire. A ce stade, il y a encore place pour la négociation, en essayant de rassembler l’Europe, les Etats- Unis, la Russie et si possible la Chine. La voie de la diplomatie, c’est aussi savoir reconnaître le rôle important que doit jouer l’Iran dans la région.
Dans le conflit israélopalestinien, quelle sera la position de votre gouvernement ? Respect des deux peuples ? Condamnation des colonies ? Quelle aide pour favoriser un processus de paix juste ?
Mon gouvernement se fondera sur le respect des résolutions de l’ONU et sur les principes énoncés notamment par François Mitterrand et partagés par les responsables lucides et de bonne volonté : Israël a le droit de vivre en sécurité, les Palestiniens ont droit à un État viable. Malgré les drames noués sur cette terre, une majorité des peuples israélien et palestinien continue à souhaiter ardemment la paix. Une majorité des Israéliens est favorable à l’existence d’un État palestinien.
La priorité c’est que l’Europe rétablisse son aide financière et humanitaire au peuple palestinien. Rien ne pourra se construire tant qu’il y aura des enfants non soignés dans les territoires et des fonctionnaires qui peinent à nourrir leur famille parce qu’ils ne sont plus payés. Les conditions d’une paix juste et durable sont connues. Elles passent par une négociation d’ensemble garantissant la sécurité d’Israël, la viabilité du futur Etat palestinien, un statut pour Jérusalem et traitant la question des réfugiés. Je souhaite que l’Europe prenne l’initiative de proposer une conférence internationale pour la paix au Moyen-Orient, réunissant, sans exclusives, tous les acteurs de la région et les médiateurs impliqués dans le processus de paix (Europe, Etats-Unis, Russie, ONU). Établir une paix juste pour mettre un terme aux souffrances et aux affrontements est d’autant plus nécessaire que le conflit mine la sécurité de la région et constitue un terreau pour le recrutement de membres d’Al-Qaïda.
Le programme socialiste est très discret sur les questions militaires. Quelle est votre position vis-à-vis de l’OTAN ? Quelle stratégie voulez-vous mener vis-à-vis de l’Europe de la défense ?
Le projet socialiste propose une nouvelle politique de défense au service de la paix et de la démocratie. Dans un monde où pèsent de nouvelles menaces, en particulier le terrorisme et les risques de prolifération nucléaire, pas question de baisser la garde. Dans les discussions avec nos partenaires européens, nous aurons à définir ensemble sur quels domaines et de quelle façon nous devons répartir les investissements.
La priorité est de donner un véritable contenu à l’Europe de la sécurité et de la défense. Nous avons des points de désaccord, en particulier sur l’OTAN et sur la relation avec les États- Unis : débattons-en sans arrogance ni préjugés. Nous avons aussi beaucoup de points d’accord : traduisons-les en politiques communes, en coopérations fortes en termes d’équipements, de développements technologiques, de renseignement, d’industries d’armement.
Depuis la chute du mur de Berlin, l’OTAN, construite dans une logique de guerre froide face à l’ex-URSS, s’est transformée. La tentation permanente des États-Unis est d’élargir le champ d’action de l’OTAN et ses domaines d’intervention. De fait, c’est pour eux un formidable instrument d’influence. Aussi devonsnous avoir une approche précise et décomplexée : reconnaître le rôle de l’Alliance dans la solidarité transatlantique ; maintenir le statut spécifique de la France, garant de l’indépendance de nos choix de sécurité ; refuser une OTAN qui jouerait au « gendarme du monde » et se substituerait à l’ONU.
Mais la clé de tout, je le répète, c’est d’avancer plus vite et plus fort dans la construction d’une défense européenne.
De quelle manière comptez-vous tenir compte du refus du Traité constitutionnel européen exprimé par les Français en ? Pensez-vous favoriser la construction d’une Europe plus sociale ? De quelle manière ?
Je suis la seule à rassembler à la fois partisans du oui et partisans du non au Traité européen. Aujourd’hui l’Europe est bloquée, la France est isolée. Je veux débloquer l’Europe et sortir la France de l’isolement. Le monde a besoin de l’Europe, facteur de paix et d’équilibre, l’Europe a besoin de la France. Commençons par redonner confiance dans une Europe dont on aura clarifié objectifs et fondements.
Les Européens refusent une compétition entre les États membres à travers les instruments de la fiscalité et du droit social, ou plutôt de l’absence de droits sociaux. Contre le dumping social, je veux qu’il soit établi qu’une entreprise qui délocalise ne bénéficie pas de fonds européens.
Un niveau de vie amélioré, une sécurité renforcée dans la vie professionnelle, le droit à une formation de qualité tout au long de la vie, le strict respect des libertés syndicales, voilà les éléments essentiels de ce que doit être le modèle social européen. Nous devons mettre en place des critères de convergences sociaux pour mesurer les progrès réalisés en matière de salaires, d’emploi, de conditions de travail, d’égalité hommefemme, d’accès à la formation professionnelle, de santé au travail.
Bâtissons l’Europe par la preuve :
• une Europe des énergies renouvelables, avec un programme d’investissement massif rapidement débattu et misen oeuvre, avec une fiscalité européenne très incitative en faveur des économies d’énergie et des énergies renouvelables ;
• une Europe de la recherche, en promouvant ou en renforçant les réseaux entre équipes de recherche, en augmentant fortement le budget européen de la recherche, en sortant du pacte de stabilité les dépenses de recherche et d’innovation ;
• une Europe des transports, avec un budget propre européen auquel serait affecté une petite part de la fiscalité sur les carburants ;
• une Europe des services publics, avec l’adoption de la directive préparée par le groupe socialiste au Parlement européen. Une réforme institutionnelle permettant à l’Europe de fonctionner à 27 est nécessaire. Le traité constitutionnel est caduc. Il faut en prendre acte et repartir sur de nouvelles bases. Je souhaite que la présidence allemande du premier semestre pose les jalons d’une adaptation institutionnelle pour une Europe plus efficace. Je souhaite que la présidence française du deuxième semestre soit en mesure d’avancer sur un accord entre Etats membres.
La coopération avec l’Afrique est essentielle pour notre pays, pas seulement au titre de la solidarité avec les populations africaines, mais aussi parce que ce qui s’y passe est crucial pour notre avenir : émigration, sécurité, risque sanitaire, risque écologique… En matière de coopération, dites-nous ce que vous voulez faire, annoncez que nous respecterons nos engagements internationaux.
La coopération avec l’Afrique est essentielle pour notre pays, au titre de la solidarité. Ce qui s’y passe est crucial pour notre avenir. Les pays pauvres, notamment en Afrique, doivent sortir de la misère grâce à un co-développement mieux pensé, plus solidaire et plus efficace. Là se situe la vraie réponse aux migrations de la misère. La question de l’émigration ne peut pas, en effet, être déconnectée de celle du co-développement. C’est par le droit des familles à vivre dignement dans leur pays que l’on peut tarir l’immigration clandestine.
France, Italie, Espagne : nous sommes tous confrontés à une immigration en provenance d’Afrique. Nous devons mettre en place des politiques coordonnées, à l’échelle européenne (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui) et, en même temps, penser ensemble un nouveau partenariat avec l’Afrique.
Il faut repenser de fond en comble la coopération et le développement en se concentrant sur quatre enjeux majeurs : l’eau, l’école, l’environnement, la santé et en favorisant les micro-crédits. Les femmes sont aux avant-postes de ces projets. En Afrique, elles assurent 98 % du travail de la terre mais bénéficient seulement de 5 % des crédits bancaires. Il faut aussi que l’aide des pays riches arrive directement à ceux qui en ont besoin, à travers la coopération décentralisée et les ONG.